Le QQCP* de la reconnaissance au travail

*Quoi, qui, comment, pourquoi

Heureux sont ceux qui n’ont jamais souffert d’un manque de reconnaissance au travail 🙂

En matière de carrière, la reconnaissance est un sujet clé, pour deux raisons en particulier. D’abord, elle est corrélée au sens au travail. Puis, le manque de reconnaissance est l’un des moteurs des mobilités professionnelles, notamment chez les cadres. Cela s’explique par le niveau de contribution demandé, qui est très fort. Aussi, par souci d’équité, une rétribution équivalente (monétaire et non monétaire) est attendue. Si celle-ci n’est pas à la hauteur des espérances, deux comportements possibles : baisser le niveau de contribution ou partir.

En outre, la recherche observe que les pratiques de reconnaissance en entreprise ne sont pas toujours effectives, même si les individus ont le sentiment de le faire.
Ces pratiques sont plutôt absentes ou mal exécutées, en raison notamment :

A cela s’ajoute le fait que la reconnaissance s’opère entre un émetteur et un récepteur, et qu’entre les deux, il y a des (nombreux) filtres ! Ainsi, certaines marques sincères peuvent être mal interprétées.

Bref, un joli sujet bien complexe, que j’essaie de vous présenter dans cet article.

1/ La reconnaissance : un processus de confirmation auprès d’autrui


Ricœur (2005)1 définit la reconnaissance comme un processus visant à se référer à l’autre pour confirmer ou infirmer sa propre appréciation de soi-même (et réciproquement).

 (…) d’une part les capacités qu’un agent humain s’attribue, d’autre part le recours à autrui pour donner à cette certitude personnelle un statut social. (…) Je m’identifie par mes capacités, par ce que je peux faire. (…) Les capacités peuvent être observées du dehors, mais elles sont fondamentalement ressenties, vécues, sur le mode de la certitude. 

Ricœur (2005)1

La psychosociologie, elle, approche la reconnaissance sous l’angle des impacts qu’elle a sur l’individu. Elle contribue à la construction de son identité, à sa stabilité émotionnelle et psychologique.

En sciences de gestion, le sujet est étudié depuis peu (une vingtaine d’années). Le contexte économique et social (crises financières, perte de sens au travail, etc.) pousse les chercheurs à s’intéresser de plus près à ce concept.

2/ Les multiples facettes de la reconnaissance au travail


Brun (2009)2 définit la reconnaissance au travail comme suit : « Une pratique qui consiste à témoigner, de façon authentique et constructive, de l’appréciation ».

La reconnaissance au travail revêt de multiples dimensions, qu’il est parfois complexe d’appréhender : formelle ou informelle, régulière ou ponctuelle, privée ou publique, monétaire ou non monétaire, individuelle ou collective, réalisée à de multiples niveaux, etc.

A. Pourquoi sommes-nous en quête de reconnaissance au travail ?

Le travail a longtemps été un moyen, pour l’homme, de subvenir à ses besoins primaires. Or, aujourd’hui, nous poursuivons une autre quête : celle de la reconnaissance (Osty, 2003)3. Plusieurs facteurs justifient celle-ci, et notamment :

La reconnaissance au travail est un élément essentiel pour préserver et construire l’identité des individus, donner un sens à leur travail, favoriser leur développement et contribuer à leur santé et à leur bien-être.

Brun (2008)6

B. Comment percevons-nous les actes de reconnaissance ?

Individuellement, nous percevons différemment les actes de reconnaissance reçues. Nous les interprétons selon nos biais cognitifs. Ainsi, un écart peut apparaître entre le niveau de reconnaissance que nous percevons et l’intention réelle de l’émetteur. Roche (2013)7 propose un modèle de ces écarts :

Le mépris

Le mépris signifie que l’acte de reconnaissance est en deçà des attentes (manque de considération).

Le déni

Le déni est l’absence d’acte de reconnaissance non intentionnelle. Le déni est souvent à l’origine de conflit, dans une lutte pour la reconnaissance.

La normalité

Dans le cas où la perception est « normale », cela signifie que l’individu récepteur ne s’intéresse pas à l’acte ou le relativise.

C. Quels sont les impacts des pratiques reconnaissances ?

Roche (2013)7 met en également en évidence le rapport existant entre les pratiques de reconnaissance (absentes, mauvaises, bonnes) et les comportements / phénomènes observés en entreprise. Je vous soumets quelques éléments clés, sans trop les développer :

3/ Sur quoi, par qui et comment être reconnu(e)s ?


A. Sur quoi pouvons-nous être reconnu(e)s ?

Dans leurs travaux de 20058, Brun et Dugas définissent 4 formes de reconnaissance au travail.

La reconnaissance existentielle

Elle répond au besoin d’être reconnu en tant qu’individu à part entière (et non comme un employé), que l’on s’intéresse à sa personne.

La reconnaissance de la pratique de travail

Elle répond au besoin de reconnaissance de l’accomplissement des tâches, et ce, de manière compétente, que ce soit à une échelle individuelle ou collective. Outre les compétences, ce sont les processus de travail (créativité, innovation, etc.), les responsabilités prises et les relations avec les autres qui sont reconnus.

La reconnaissance de l’investissement dans le travail

Elle répond au besoin de reconnaissance de l’engagement, des risques pris et de l’effort consenti, que ce soit à une échelle individuelle ou une échelle collective. Cette approche est décorrélée des résultats finaux, elle ne reconnaît que l’engagement personnel et la mobilisation collective. Elle revêt, en ce sens, un aspect symbolique. Elle constitue un moyen de valorisation très important pour des salariés qui contribuent indirectement à l’atteinte de résultats de l’entreprise (ex : fonctions supports).

La reconnaissance des résultats

Elle répond au besoin de reconnaissance de la capacité à produire, et ce, de manière concrète, que ce soit à une échelle individuelle ou collective. Il s’agit d’une reconnaissance a posteriori et conditionnelle. En effet, elle présuppose une évaluation des résultats qui sont effectifs, observables, mesurables et contrôlables. Cette composante de la reconnaissance contribue directement au sentiment d’équité de l’individu ou du collectif.

B. Qui nous reconnaît ?

Brun et Dugas étudient ensuite l’acte de reconnaître selon une perspective interactionnelle. Ils identifient cinq plans interactionnels :

Le plan horizontal – Par nos pairs

La reconnaissance par les pairs est fondamentale, leur expertise donne une valeur singulière à la reconnaissance du travail accompli et appuie le sentiment d’appartenance à un groupe et/ou un corps et/ou une entreprise. Elle présuppose toutefois que le contexte est favorable et ne suscite pas de mise en concurrence entre les salariés d’un même niveau.

Le plan vertical – Par notre hiérarchie

Il s’agit de l’interaction qui s’établit entre le manager et le salarié ou le manager et le collectif. La reconnaissance est bilatérale.

Le plan organisationnel – Par notre entreprise

L’organisation affirme sa volonté de reconnaitre le travail de ses salariés par la mise en œuvre de politiques de reconnaissances. Elle s’assure du déploiement ces dernières aux différentes échelles de l’entreprise.

Le plan externe – Par nos clients et nos partenaires extérieurs

Les clients et les partenaires extérieurs reconnaissent le travail réalisé.

Le plan social – Par la société

Il s’agit d’une reconnaissance par la société de l’utilité de l’organisation ou des corps de métiers.

C. Comment pouvons-nous être reconnu(e)s ?

Sur ce point, j’ai choisi de vous parler de la classification proposée par St-Onge S. et al (2005)9,illustrée d’exemples, même si ce modèle ne traite pas de l’aspect « rémunération », qui reste un moyen évident de reconnaissance.

Communication

Gestes informels et spontanés (mail, téléphone, aller à la rencontre de l’individu ou du collectif, etc.) : félicitations, merci, bon travail, etc.

Symboles honorifiques

Trophées
Prix (ex: voyages), etc.

Comportements

Gestes (poignée de main) / Soutien en cas de difficultés/ Démonstration de confiance (ex : communication d’informations privilégiées), etc.

Visibilités

Félicitations d’un salarié devant ses pairs ou d’une équipe devant les autres services de l’organisation,
Présentation du projet conduit par une équipe aux autres salariés, etc.

Biens et services

Services
Congés supplémentaires
Cadeaux
Prise en charge de frais
Abonnements sportifs, etc.

Conditions de travail

Offrir une responsabilité supplémentaire
Horaire flexible
Accès à un cours de formation
Enrichissement des tâches, etc.

4/ Un besoin grandissant de reconnaissance intégrative


Aujourd’hui, nous ne sommes plus en attente d’une « reconnaissance gratitude » mais nous avons besoin de « reconnaissance intégrative » (Brun, 2009)2.

Cela signifie, qu’au-delà du besoin d’être « remercié(e)s », nous voulons contribuer plus activement à la gestion de notre travail et de notre entité. Ne pas subir l’organisation, mais y contribuer. Très concrètement, et à titre d’exemples, cela signifie que nous voulons :

Sources

1RICOEUR P. « Devenir capable, être reconnu » article publié initialement dans la revue Esprit, 2005, n°7.

2BRUN J.-P., Management d’équipe : 7 leviers pour améliorer bien-être et efficacité au travail, Éditions Eyrolles, 2009

3OSTY F., Le désir de métier – Engagement, identité et reconnaissance au travail, Presse universitaire de Rennes, Collection « des Sociétés », 2003

4The meaning of working, MOW international research team, academic press, London, 1987

5FRAY A.-M. & PICOULEAU S., « Le diagnostic de l’identité professionnelle : une dimension essentielle pour la qualité au travail », Management & Avenir, 2010, vol. 38, no. 8, p. 72-88.

6BRUN J.-P., « La reconnaissance au travail », Sciences Humaines, 2008, N°12, p 114

7ROCHE, A. « Reconnaissance et performance : proposition du concept de reconnaissance activatrice et d’un modèle intégrateur ». Thèse de doctorat en Science de gestion, 12 mars 2013, Lyon.

8BRUN JP, DUGAS N., « La reconnaissance au travail : analyse d’un concept riche de sens », Gestion, 2005, Vol. 30, p. 79-88.

9ST-ONGE S., HAINES III V.-Y., AUBIN I., ROUSSEAU C. & LAGASSE G., « Pour une meilleure reconnaissance des contributions au travail », Gestion, 2005, Vol. 30, 2, pp. 89-101.

Last Updated on 17 octobre 2025 by Daphnée DI PIRRO